La carte de 1939 a connu le sort unique d’être rééditée en 1940, pour une circonstance également unique : il y a eu cette année-là, deux cortèges de la Saint-Nicolas. Voici donc un bref récit de cet événement, auquel j’eus l’insigne honneur de participer, ayant gagné le concours du meilleur vendeur de cartes. J’étais au début de ma 3e littéraire.
LA LIBERTE du 4 décembre 1940, par la plume du poète Henri Bise, annonce l’affaire avec toute la discrétion qu’impose l’interdiction absolue de révéler l’identité d’une unité de l'armée et le lieu où elle est cantonnée. Il écrit donc:
« J’apprends que, par une attention délicate, le groupe vivant de Saint Nicolas ira rendre visite à une troupe fribourgeoise qui a ses quartiers dans un canton voisin. On rééditera pour les miliciens la carte de 1939... »
En fait, c’est le Commandant de l’un des bataillons du Régiment 7 qui avait sollicité cette visite auprès des autorités du Collège St-Michel. Les troupes fribourgeoises étaient restées mobilisées sans interruption depuis l’invasion allemande de la France, le 10 mai 1940. L’approche des Fêtes leur faisait trouver le temps long et triste. L’expédition fut donc organisée de maîtresse façon par les efforts conjugués des autorités militaires et de Monsieur l’abbé Marcel Pillonel, préfet du Collège. Un train spécial quitta Fribourg le jeudi 5 décembre dans l’après-midi pour conduire tout ce monde à Zweisimmen. A l’arrivée, les costumes furent enfilés en vitesse après une rapide séance de maquillage, et le cortège se mit en route dans les étroites ruelles du pittoresque village. Les soldats éblouis, mêlés à la population du lieu, se pressaient de chaque côté tout comme les enfants de Fribourg allaient le faire deux jours plus tard. Dans un vaste rayon du Simmental, on n’avait pas trouvé d’âne, et les soldats amenèrent un grand poney bai et blanc, très rétif, qui compliqua dangereusement la tâche du cavalier novice. Une allocution du Saint Patron, adaptée aux circonstances, descendit sur la foule émue, du haut d’un balcon de fer forgé donnant sur la place centrale. Après quoi, toute la cohorte fut invitée à partager un menu militaire, en l’occurrence une gigantesque choucroute garnie. Le train repartit tard dans la nuit pour nous ramener vers Fribourg... et la classe du lendemain matin à 8 heures! Les échos de cette fête nous apprirent que les soldats avaient été réconfortés, malgré la nostalgie des temps de paix où les papas pouvaient partager ces lumières avec leurs enfants. Je dois avouer que, âgé à ce moment-là de 14 ans, je garde de ce déplacement un souvenir assez étouffant, partagé entre l’atmosphère festive et les visages graves où souvent les yeux brillaient de larmes.
Et, deux jours plus tard, le 7 décembre, le même cortège avec les mêmes acteurs déroula ses fastes selon le rite habituel dans les rues de Fribourg. LA LIBERTE du même jour publie une relation de l’aventure de Zweisimmen, en des termes légèrement plus précis: Il s’agit de la visite des Collégiens à « un bataillon stationné dans un paisible village alémanique ».
Le projet avait été fait de monter aussi aux Diablerets, à l'intention du Bataillon 15 qui s'y trouvait cantonné. Mais des avalanches ayant coupé routes et voies de chemin de fer, il fallut y renoncer. En revanche, je n'ai recueilli aucun témoignage d'un projet pour le Bataillon 16, 3e troupe du Régiment 7 fribourgeois.
En ce qui concerne plus précisément la carte, 1940 donne un signe qui permet de déduire que le public commence à attendre favorablement cette accompagnatrice fidèle des festivités, puisque Monsieur Reichlen expose dans la vitrine de la maison Staub, à la rue de Lausanne, (aujourd’hui Ansermet), la série des cartes des années précédentes. Le collectionneur d’aujourd’hui aimerait sans doute bien avoir connu cette vitrine. D’autre part, dans l’article de presse cité ci-dessus, Henri Bise donne une description de la carte rééditée pour les soldats. Je ne résiste pas au plaisir de la transcrire ici:
« Dans le décor de Fribourg, sous un ciel où passent de noirs avions, saint Nicolas, arrêté avec son âne, cause à une sentinelle. Dans ce monde dramatique, où toute vie sans armes est menacée, le soldat n’est pas toujours l’homme par qui se fait la guerre, mais il est aussi celui par qui la paix peut exister. J’aime ce dialogue d’un saint et d’un gars qui veille. Tandis que l’un nous parle des mérites exquis qu’il est précieux d’acquérir, l’autre nous rappelle les vertus primitives qu’il ne faut jamais perdre. »
Au verso de la carte, en lieu et place de la phrase traditionnelle « Le produit de la vente sert à la distribution de Saint-Nicolas », on peut lire la dédicace suivante:
Saint Nicolas et les élèves du Collège Saint-Michel
aux officiers, sous-officiers et soldats
du bat. fus. mont. 14
5 décembre 1940
Commentaires de Louis Dietrich:
La carte de 1939 a connu le sort unique d’être rééditée en 1940, pour une circonstance également unique : il y a eu cette année-là, deux cortèges de la Saint-Nicolas. Voici donc un bref récit de cet événement, auquel j’eus l’insigne honneur de participer, ayant gagné le concours du meilleur vendeur de cartes. J’étais au début de ma 3e littéraire.
LA LIBERTE du 4 décembre 1940, par la plume du poète Henri Bise, annonce l’affaire avec toute la discrétion qu’impose l’interdiction absolue de révéler l’identité d’une unité de l'armée et le lieu où elle est cantonnée. Il écrit donc:
« J’apprends que, par une attention délicate, le groupe vivant de Saint Nicolas ira rendre visite à une troupe fribourgeoise qui a ses quartiers dans un canton voisin. On rééditera pour les miliciens la carte de 1939... »
En fait, c’est le Commandant de l’un des bataillons du Régiment 7 qui avait sollicité cette visite auprès des autorités du Collège St-Michel. Les troupes fribourgeoises étaient restées mobilisées sans interruption depuis l’invasion allemande de la France, le 10 mai 1940. L’approche des Fêtes leur faisait trouver le temps long et triste. L’expédition fut donc organisée de maîtresse façon par les efforts conjugués des autorités militaires et de Monsieur l’abbé Marcel Pillonel, préfet du Collège. Un train spécial quitta Fribourg le jeudi 5 décembre dans l’après-midi pour conduire tout ce monde à Zweisimmen. A l’arrivée, les costumes furent enfilés en vitesse après une rapide séance de maquillage, et le cortège se mit en route dans les étroites ruelles du pittoresque village. Les soldats éblouis, mêlés à la population du lieu, se pressaient de chaque côté tout comme les enfants de Fribourg allaient le faire deux jours plus tard. Dans un vaste rayon du Simmental, on n’avait pas trouvé d’âne, et les soldats amenèrent un grand poney bai et blanc, très rétif, qui compliqua dangereusement la tâche du cavalier novice. Une allocution du Saint Patron, adaptée aux circonstances, descendit sur la foule émue, du haut d’un balcon de fer forgé donnant sur la place centrale. Après quoi, toute la cohorte fut invitée à partager un menu militaire, en l’occurrence une gigantesque choucroute garnie. Le train repartit tard dans la nuit pour nous ramener vers Fribourg... et la classe du lendemain matin à 8 heures! Les échos de cette fête nous apprirent que les soldats avaient été réconfortés, malgré la nostalgie des temps de paix où les papas pouvaient partager ces lumières avec leurs enfants. Je dois avouer que, âgé à ce moment-là de 14 ans, je garde de ce déplacement un souvenir assez étouffant, partagé entre l’atmosphère festive et les visages graves où souvent les yeux brillaient de larmes.
Et, deux jours plus tard, le 7 décembre, le même cortège avec les mêmes acteurs déroula ses fastes selon le rite habituel dans les rues de Fribourg. LA LIBERTE du même jour publie une relation de l’aventure de Zweisimmen, en des termes légèrement plus précis: Il s’agit de la visite des Collégiens à « un bataillon stationné dans un paisible village alémanique ».
Le projet avait été fait de monter aussi aux Diablerets, à l'intention du Bataillon 15 qui s'y trouvait cantonné. Mais des avalanches ayant coupé routes et voies de chemin de fer, il fallut y renoncer. En revanche, je n'ai recueilli aucun témoignage d'un projet pour le Bataillon 16, 3e troupe du Régiment 7 fribourgeois.
En ce qui concerne plus précisément la carte, 1940 donne un signe qui permet de déduire que le public commence à attendre favorablement cette accompagnatrice fidèle des festivités, puisque Monsieur Reichlen expose dans la vitrine de la maison Staub, à la rue de Lausanne, (aujourd’hui Ansermet), la série des cartes des années précédentes. Le collectionneur d’aujourd’hui aimerait sans doute bien avoir connu cette vitrine. D’autre part, dans l’article de presse cité ci-dessus, Henri Bise donne une description de la carte rééditée pour les soldats. Je ne résiste pas au plaisir de la transcrire ici:
« Dans le décor de Fribourg, sous un ciel où passent de noirs avions, saint Nicolas, arrêté avec son âne, cause à une sentinelle. Dans ce monde dramatique, où toute vie sans armes est menacée, le soldat n’est pas toujours l’homme par qui se fait la guerre, mais il est aussi celui par qui la paix peut exister. J’aime ce dialogue d’un saint et d’un gars qui veille. Tandis que l’un nous parle des mérites exquis qu’il est précieux d’acquérir, l’autre nous rappelle les vertus primitives qu’il ne faut jamais perdre. »
Au verso de la carte, en lieu et place de la phrase traditionnelle « Le produit de la vente sert à la distribution de Saint-Nicolas », on peut lire la dédicace suivante:
Saint Nicolas et les élèves du Collège Saint-Michel
aux officiers, sous-officiers et soldats
du bat. fus. mont. 14
5 décembre 1940