Année terrible ! Alors que l'armistice du 11 novembre apporte la fin de la Grande Guerre qui a ravagé toute l'Europe, d'autres inquiétudes pèsent sur les populations. En Suisse, des graves troubles sociaux ont débouché sur une tentative de révolution communiste, fomentée par des agitateurs russes, et ont conduit le pays au bord du gouffre. Ce que contestent aujourd'hui des historiens de gauche, qui veulent minimiser l'événement ... Mais surtout, l'épidémie de grippe, dite "espagnole", fait des ravages terrifiants. L' Europe comptera 20 millions de victimes. En Suisse, les soldats encore mobilisés sont particulièrement touchés. Toutes les réunions publiques sont interdites. Les classes du Collège sont parties en vacances au mois de juillet avec quinze jours d'avance. La rentrée d'automne, qui devait avoir lieu le 17 septembre, ne fut autorisée que partiellement les 17 et 20 décembre ! Au 2 janvier, l'épidémie connut une recrudescence inattendue. Ce n'est que le 20 janvier 1919 que les cours reprirent normalement. Et la Saint-Nicolas dans tout cela? Personne n'en parle. La presse locale n'en fait aucune annonce, ni même aucune mention. Seules, deux publicités (d'une pâtisserie et d'un marchand de jouets) paraissent dans La Liberté. Le cortège eut-il lieu malgré tout ? J'en doute fort, et n'ai trouvé aucun témoignage qui ait pu me renseigner. On renoncerait donc à faire figurer cette triste année dans cette collection, s'il n'y avait l'illustration que j'introduis ici. Elle figure dans l’ Almanach du Père Girard, 1919, p. 248. Cette publication, éditée par la Société de Secours Mutuels du corps enseignant fribourgeois, à l’usage des écoles, des cours de perfectionnement et des familles, a paru 8 fois, de 1915 à 1922. A côté des pages d’agenda, l’Almanach proposait des sujets scolaires d’histoire, de civisme,d'arthmétique, des légendes fribourgeoises, ainsi que de petits jeux de devinette et des bons mots. L’image qui nous intéresse sert à illustrer un article consacré à l’ " Oeuvre des Galoches " et au banc qu'elle tenait à la Foire de St-Nicolas (ce qui est significatif de l'époque). En effet cette oeuvre caritative visait à procurer des galoches pour l’hiver aux enfants qui en manquaient. Ce banc et celui des " Soupes scolaires " qui l'accompagna bientôt, existaient encore à la Foire de St-Nicolas pendant la deuxième guerre mondiale (l939-l945). Ils fusionnèrent ensuite en "Banc des écoles". Tous ont proposé à la vente une foule d’objets fabriqués par les enfants (et leurs institutrices) au cours des leçons consacrées à ce qu’on appellerait aujourd’hui les Activités Créatrices Manuelles, (à l'époque les "Travaux Manuels"), incluant bien sûr le tricot, pour les filles, et le bricolage, pour les garçons. Ces humbles objets étaient vendus très bon marché et rencontraient un vif succès. Dans l'article de l'almanach, visant à promouvoir la vente, une image évoquant Saint Nicolas et sa venue à Fribourg pour distribuer des cadeaux, se trouve tout à fait à sa place. Revenons donc à cette image ... Tout d’abord, la signature E-R-, ne laisse aucun doute sur son auteur. Il est invraisemblable que les éditeurs de l’Almanach lui aient commandé un dessin spécialement pour leur publication car ce n’était pas leur habitude: dans les volumes des autres années, on voit en effet qu’ils ont pillé sans vergogne les dessins d’E. Reichlen parus dans les Légendes gruyériennes de Marie-Alexandre Bovet. De plus, les éditeurs de l’Almanach n’indiquent jamais la source et les références de leurs illustrations. C’est ce qui permet de juger inévitable que ce dessin, qui présente toutes les caractéristiques d'une carte de la Saint-Nicolas, ait été connu d'eux au moment où s'imprima l'agenda de 1919, soit au plus tard vers la mi-novembre 1918. Il entrerait donc à juste titre dans le cadre de cette collection. Mais surtout, son style le rapproche de la seule carte antérieure signée E.R., celle de 1916. Voyez le harnachement très décoratif de l’âne, garni de pompons et de buffleterie ouvragée. Ces falbalas disparaîtront totalement dans toutes les versions postérieures. Voyez la position un peu acrobatique du céleste cavalier, qui, pour garder sa dignité, monte "en amazone": dans toutes les reprises de cette situation, forcément très nombreuses, Saint Nicolas est carrément à califourchon, comme dans la réalité du cortège. Il se pourrait cependant que le dessin ait été préparé en vue d'une impression qui ne se serait pas faite, ou que la publication réalisée n'ait pas été mise en vente. Cela expliquerait qu'il soit aujourd'hui impossible d'en trouver un exemplaire. On en est réduit au suppositions... Et cependant, un simple coup d'oeil sur la carte de 1919 (page suivante) révèle immédiatement que l’élève qui la signe (H.M.) s’est inspiré de ce dessin: mêmes jouets dans la hotte, même fond parsemé de grandes étoiles, liseré de la chape très ressemblant, profil identique pour Saint Nicolas ... Il est concevable que les élèves travaillant sur un projet en 1919 aient eu en mains une carte de 1918. Un élément de description pour terminer cette analyse . En silhouette sous le nuage, apparaît un décor de tours: au milieu la Cathédrale et derrière elle, la Tour Rouge, celle de Dürenbühl, et la Porte de Lorette; c’est-à-dire assez exactement ce que l’on voit depuis la terrasse derrière le bâtiment du Gymnase, ou mieux encore depuis la fenêtre de la salle de dessin, appelée le « pigeonnier », où E. Reichlen a enseigné dans l'inconfort pendant tant d'années.
Commentaires de Louis Dietrich:
Année terrible ! Alors que l'armistice du 11 novembre apporte la fin de la Grande Guerre qui a ravagé toute l'Europe, d'autres inquiétudes pèsent sur les populations. En Suisse, des graves troubles sociaux ont débouché sur une tentative de révolution communiste, fomentée par des agitateurs russes, et ont conduit le pays au bord du gouffre. Ce que contestent aujourd'hui des historiens de gauche, qui veulent minimiser l'événement ... Mais surtout, l'épidémie de grippe, dite "espagnole", fait des ravages terrifiants. L' Europe comptera 20 millions de victimes. En Suisse, les soldats encore mobilisés sont particulièrement touchés. Toutes les réunions publiques sont interdites. Les classes du Collège sont parties en vacances au mois de juillet avec quinze jours d'avance. La rentrée d'automne, qui devait avoir lieu le 17 septembre, ne fut autorisée que partiellement les 17 et 20 décembre ! Au 2 janvier, l'épidémie connut une recrudescence inattendue. Ce n'est que le 20 janvier 1919 que les cours reprirent normalement. Et la Saint-Nicolas dans tout cela? Personne n'en parle. La presse locale n'en fait aucune annonce, ni même aucune mention. Seules, deux publicités (d'une pâtisserie et d'un marchand de jouets) paraissent dans La Liberté. Le cortège eut-il lieu malgré tout ? J'en doute fort, et n'ai trouvé aucun témoignage qui ait pu me renseigner. On renoncerait donc à faire figurer cette triste année dans cette collection, s'il n'y avait l'illustration que j'introduis ici. Elle figure dans l’ Almanach du Père Girard, 1919, p. 248. Cette publication, éditée par la Société de Secours Mutuels du corps enseignant fribourgeois, à l’usage des écoles, des cours de perfectionnement et des familles, a paru 8 fois, de 1915 à 1922. A côté des pages d’agenda, l’Almanach proposait des sujets scolaires d’histoire, de civisme,d'arthmétique, des légendes fribourgeoises, ainsi que de petits jeux de devinette et des bons mots. L’image qui nous intéresse sert à illustrer un article consacré à l’ " Oeuvre des Galoches " et au banc qu'elle tenait à la Foire de St-Nicolas (ce qui est significatif de l'époque). En effet cette oeuvre caritative visait à procurer des galoches pour l’hiver aux enfants qui en manquaient. Ce banc et celui des " Soupes scolaires " qui l'accompagna bientôt, existaient encore à la Foire de St-Nicolas pendant la deuxième guerre mondiale (l939-l945). Ils fusionnèrent ensuite en "Banc des écoles". Tous ont proposé à la vente une foule d’objets fabriqués par les enfants (et leurs institutrices) au cours des leçons consacrées à ce qu’on appellerait aujourd’hui les Activités Créatrices Manuelles, (à l'époque les "Travaux Manuels"), incluant bien sûr le tricot, pour les filles, et le bricolage, pour les garçons. Ces humbles objets étaient vendus très bon marché et rencontraient un vif succès. Dans l'article de l'almanach, visant à promouvoir la vente, une image évoquant Saint Nicolas et sa venue à Fribourg pour distribuer des cadeaux, se trouve tout à fait à sa place. Revenons donc à cette image ... Tout d’abord, la signature E-R-, ne laisse aucun doute sur son auteur. Il est invraisemblable que les éditeurs de l’Almanach lui aient commandé un dessin spécialement pour leur publication car ce n’était pas leur habitude: dans les volumes des autres années, on voit en effet qu’ils ont pillé sans vergogne les dessins d’E. Reichlen parus dans les Légendes gruyériennes de Marie-Alexandre Bovet. De plus, les éditeurs de l’Almanach n’indiquent jamais la source et les références de leurs illustrations. C’est ce qui permet de juger inévitable que ce dessin, qui présente toutes les caractéristiques d'une carte de la Saint-Nicolas, ait été connu d'eux au moment où s'imprima l'agenda de 1919, soit au plus tard vers la mi-novembre 1918. Il entrerait donc à juste titre dans le cadre de cette collection. Mais surtout, son style le rapproche de la seule carte antérieure signée E.R., celle de 1916. Voyez le harnachement très décoratif de l’âne, garni de pompons et de buffleterie ouvragée. Ces falbalas disparaîtront totalement dans toutes les versions postérieures. Voyez la position un peu acrobatique du céleste cavalier, qui, pour garder sa dignité, monte "en amazone": dans toutes les reprises de cette situation, forcément très nombreuses, Saint Nicolas est carrément à califourchon, comme dans la réalité du cortège. Il se pourrait cependant que le dessin ait été préparé en vue d'une impression qui ne se serait pas faite, ou que la publication réalisée n'ait pas été mise en vente. Cela expliquerait qu'il soit aujourd'hui impossible d'en trouver un exemplaire. On en est réduit au suppositions... Et cependant, un simple coup d'oeil sur la carte de 1919 (page suivante) révèle immédiatement que l’élève qui la signe (H.M.) s’est inspiré de ce dessin: mêmes jouets dans la hotte, même fond parsemé de grandes étoiles, liseré de la chape très ressemblant, profil identique pour Saint Nicolas ... Il est concevable que les élèves travaillant sur un projet en 1919 aient eu en mains une carte de 1918. Un élément de description pour terminer cette analyse . En silhouette sous le nuage, apparaît un décor de tours: au milieu la Cathédrale et derrière elle, la Tour Rouge, celle de Dürenbühl, et la Porte de Lorette; c’est-à-dire assez exactement ce que l’on voit depuis la terrasse derrière le bâtiment du Gymnase, ou mieux encore depuis la fenêtre de la salle de dessin, appelée le « pigeonnier », où E. Reichlen a enseigné dans l'inconfort pendant tant d'années.